En 1990, Montolieu n'était plus qu'un petit village assoupi sur les contreforts de la montagne Noire. Deux ans plus tard, il se proclamait premier Village du livre en France, accueillait des passionnés venus de tous les horizons et réorganisait sa vie autour d'une activité nouvelle tenant tout à la fois de la culture, du tourisme, de la reconversion économique... et du prodige.

Montolieu,

le village en capitale

Michel Braibant, relieur à Carcassonne, qui est à l'origine cette résurrection. Ce sont en revanche des passionnés venus d'ailleurs - essentiellement du nord - qui en ont fait une réalité dynamique et viable, au point que Montolieu est désormais connu à l'étranger par bon nombre de collectionneurs de livres. Nul ne sait combien ils sont à péleriner vers ce nouveau haut lieu. Les chiffres voguent entre 30 et 50 000 par an, parfois plus. Mais, point de statistique encore, et encore peu de parkings, parce que le succès est arrivé très vite. Deux ans: une fulgurance. Un bouleversement radical, et donc pas toujours facile à maîtriser à l'échelle de ce village devenu rural à force de faillites industrielles.


DE L'ONDE À L'ÉCRIT. Montolieu: 812 habitants à l'aune du calendrier des Postes. Un fier village du Cabardès, un petit bout d'Aude calé entre Montagne Noire, Minervois et Lauragais, avec un peu de vigne, beaucoup de moutons, et un passé glorieux.

Le village s'est fiché sur le piton qui domine le point exact où se rejoignent la Dure et l'Alzeau, deux vaillantes rivières dont les eaux allaient permettre à des papeteries, minoteries, tanneries et entreprises de délainage, de faire la fortune du canton et d'en freiner l'exode. Mais cette gloire industrielle se conjugue au passé. En 1989, il n'y avait plus que vingt élèves à l'école qui s'apprêtait à fermer.

C'est dans ce contexte que Michel Braibant et son projet de conservatoire du livre et des arts graphiques sont présentés aux Montolivains comme une hypothèse de salut. Il s'agit tout simplement de laisser s'installer ceux qui voudront bien le faire. En contrepartie, la mairie s'engage à ne pas demander, pendant deux ans, de taxe professionnelle aux nouveaux arrivants. Déjà, un Parisien s'est porté acquéreur de l'ancienne Manufacture royale de draps. On verra bien...

Le premier marché aux livres se déroule en juillet 1990, la première librairie ouvre ses portes en octobre. L'été suivant, on recense huit libraires, un relieur, un copiste, un graveur, un musée, et le conservatoire des métiers et des arts graphiques. A quelques kilomètres de là, en amont sur la Dure, le moulin à papier de Brousses tourne à nouveau.

Les faits témoignent de la vitalité du projet, aiguillonné, par deux associations qui n'en font (presque) qu'une : Mémoire du livre, et Village du livre. L'une et l'autre perpétuent l'œuvre de Michel Braibant et s'attachent à développer ce qui devenu un véritable enjeu économique, garant de la survie du village : il y a aujourd'hui 53 élèves à l'école, qui a ouvert des classes.



ESPRIT DE CLOCHER. Voilà pour nouveau. Et puis il y a l'éternité. Montolieu, son couvent, sa rue des Escaliers, sa Villa Zébulon, son épicerie à l'ombre de l'église. " Un type qui n'est là que depuis vingt ans, il est prit encore d'ici », témoigne un client du Café du Commerce, parce qu'ici aussi on fait de la politique, du football et de la pétanque. Il y a donc un autre Montolieu.

René Labessède, adjoint au maire. essaie de résumer : " Le livre s'est implanté, mais Montolieu existait avant». D'ailleurs, à l'initiative de la Mairie, « on a créé le seul parcours de pêche à la mouche du département » Toutefois, il concède : "C'est vrai que le livre a donné un coup de fouet. Nous avons fait des efforts à travers des exonérations fiscales, en créant des ateliers-relais, et maintenant, en essayant de proposer des idées au repreneur de l'ancienne tannerie. Mais la Mairie ne peut apporter qu'un regard extérieur sur l'économie privée. Elle ne peut pas aider individuellement les particuliers qui viennent s'installer. Pour cela, il y a des associations ".

Justement, Village du livre et Mémoire du livre se sentent un peu loin des édiles. Les doléances se déclinent sous forme de bilan : "Tous les troisièmes dimanches de chaque mois, nous organisons un marché au livre. Pour Pâques, le Printemps du livre fait venir des milliers de personnes de tous les coins de France, sans parler des foires d'été et de la Fureur de lire en octobre. Grâce à nous, Montolieu ne désemplit pas et les aides que nous recevons paient tout juste les affiches", râle Jeanne Haas, animatrice du bureau des associations et présidente de Village du livre.

Bref, la vie de clocher a repris ses droits. C'est en soi un signe d'intégration.



LES PIONNIERS. Daniel Olivier vient du Nord. Il est Belge. Un pionnier. Un solitaire aussi, farouchement indépendant : « Je suis un commerçant, marchand de livres d'occasion. Un point c'est tout ». II n'appartient à aucune association et n'a jamais rien demandé à la Mairie. Souvent sarcastique, parfois mordant, Daniel Olivier est malgré tout optimiste : « Je crois en ce projet. Ce n'est pas une utopie. En Belgique, j'ai commencé au village du livre de Redu. II n'y avait rien au départ, et aujourd'hui une vingtaine de bouquinistes attirent des centaines de milliers de francophones sans qu'il soit besoin de faire de publicité, ». C'est là-bas qu'il a rencontré Michel Braibant. Il l'a suivi sans hésiter, par « envie de soleil ». A ses yeux, la lecture n'est pas en crise, et le livre non plus. Ici, j'en vends 70.000 par an. C'est l'édition qui est en crise, mais elle ne le doit qu'à elle-même... »

Sans doute voudrait-il que, Montolieu aille plus vite, plus fort, « pas par souci de rentabilité; mais il faut garder cette place unique en France, conforter notre notoriété encore trop fragile sous peine de laisser des associations ou des municipalités mieux organisées nous soufler cette spécialité extraordinaire ».

Il est vrai que le pari n'est pas encore tout à fait gagné. Il reste des choses à faire à Montolieu. Marc Grillet en sait quelque chose. Il est le Parisien. Un pionnier lui aussi, il était même là avant l'heure. Grandes écoles, grosses entreprises, hautes responsabilités... mais un jour il renonce, par refus de revenir à Paris. En 1988. il rachète les bâtiments de l'usine Nizet, datant de Napoléon III, près de la Manufacture Royale. Une ruine qui aligne 3000 m2 de toits et 6000 m2 de planchers. « Je n'avais pas d'idée arrêtée. Mais je voulais inventer un projet à mi-chemin entre tourisme et culture. C'est alors que, tout à fait incidemment. j'ai rencontré Michel Braibant ". Pour le reste, on devine que les deux hommes ont trouvé des choses à se dire.

Marc Grillet restaure en partie l'austère bâtiment et ouvre tout d'abord les portes d'un Musée du livre, de l'imprimerie, et du papier. Par la suite, au gré des salles rénovées. il monte des expositions, et au printemps dernier, inaugure la Galerie des bouquinistes: une, immense salle toute en bibliothèques réorganisées en échoppes. Huit bouquinistes s'y sont déjà installés. D'autres viendront.

II propose depuis quelques mois des stages d'initiation à la fabrication du livre. Un chemin pragmatique. Un œil sur les travaux qui restent à faire. Marc Grillet résume sa pensée: « La collectivité n'est pas une fin en soi. Elle doit simplement permettre de valoriser le travail de chacun ".



A CHACUN SON RÊVE. Marc Rogez a un sentiment identique, même si son installation à Montolieu ne s'est pas faite dans les mêmes conditions Il a le geste calme et des silences en fin de phrase. Au bout de ses doigts frémissent des papiers plus légers que l'air, plus précieux que l'or. II est relieur, Il doit son installation en 1991 à une formule d'atelier-relais cautionnée par la municipalité. « Pour l'heure. mon échoppe appartient à la ville de Montolieu, mais je paie un loyer qui à terme m'en rendra propriétaire ». Lui aussi a rencontré Michel Braibant. II est venu à Montolieu dans l'intention de participer à une dynamique : « Le contexte donne un relief particulier à mon activité et, en retour, ma présence enrichit cet environnement de l'écrit et du livre ».

C'est un peu pour cela que Madeleine Neyret a installé son atelier de gravure à l'ombre des librairies. « Non. je ne suis pas dans la bouquin, je suis dans le papier. Esthétique ou narrative, la gravure a sa Place dans le texte et hors le texte. Mais ce n'était pas mon propos en venant ici : je voulais participer à un projet collectif et faire partager mon savoir ». Madeleine organise des Stages Pour enfants et adultes. Elle dit avoir trouvé la paix à Montolieu : " J'ai le sentiment d'appartenir à une famille ".

Une famille de cousins. Tout n'a pas été simple, et ne l'est peut-être pas encore entre ceux qui sont d'ici et ceux qui sont maintenant ici. Les étrangers du livre peuplent maintenant une quinzaine de librairies et un peu moins d'une dizaine d'ateliers variés. Voilà pour les chiffres. Mais ne faut-il pas porter à leur crédit la résurrection d'un restaurant, le maintien d'une boucherie, d'une boulangerie, d'une poste et aussi de l'école ? Et la possibilité maintenant offerte à Solange Agasse, épicière par hérédité, de céder à sa fille la petite boutique que son grand père a créée au début du siècle ? Montolieu et le village du livre, heureusement, c'est déjà un peu plus que, cela. mais on ne fait pas de révolution culturelle sans longue marche.



CELUI PAR QUI TOUT EST ARRIVÉ. Installé à Carcassonne après un tour de France, Michel Braibant est relieur. L'âge de la retraité approchant, il parle d'avenir en pensant à ses rêves. Passionné par tout ce qui touche de près ou de loin à la chose écrite, il a pour ambition de créer un Conservatoire vivant des métiers du livre et des arts graphiques. Le projet qu'il présente s'articule autour de deux points : d'une part la réhabilitation d'un ancien moulin à papier, situé à Brousses, d'autre part la création d'un lieu de mémoire pour le livre, ses métiers et ceux des arts graphiques.

Plus qu'une association sympathique confinée dans la bonne volonté d'un cénacle, Michel Braibant souhaite que sa passion vive, se démultiplie et rayonne. Il sait qu'à Hay-on-Wye, en Grande-Bretagne, et à Redu, en Belgique, des projets identiques ont abouti. Têtu, le Carcassonnais veut la même chose. Après quelques errances, le dossier aboutit à Montolieu, et les Montolivains l'acceptent, sceptiques, mais la récession est là et les premiers candidats au renouveau aussi. Et le, village du livre se construit en même temps que disparaît son fondateur, en août 1991.

« Savez-vous qu'il existe près de 18 000 sortes de plumes ? ». II se fait appeler Toma, et se définit comme un artisan de l'écriture. II est copiste-calligraphe à Montolieu : « J'écris des choses qui me semblent intéressantes et je, les donne à lire, ou bien les gens me demandent la copie de tel ou tel texte ». Il taille la plupart de ses plumes et fabrique son encre. Il es[ capable de restituer une quarantaine d'écritures.

Toma a appris tout seul. Toute sa vie a été une quête. Postier, serveur, éducateur de rues, il a aussi été « rencontreur de gamins : je parcourais les routes de France dans une caravane attelée à un tracteur et j'allais sur les marchés faire rire les gosses... » Conteur, marionnettiste, magicien, il écrivait aussi des poèmes sur des melons. Et puis, un jour, lui aussi a croisé Michel Braibant. II a rangé sa caravane et ouvert une échoppe. Outre, la copie, il fait aussi de splendides enluminures. Son univers est un grimoire qu'il élève au rang de livre sacré : « Une belle page, ça donne envie de lire ». Il est heureux et serein. C'est un homme de paix et de patience.



RETOUR AUX SOURCES. Daniel Grimbert partage avec Xavier Durand la renaissance du Moulin de Brousses. A sept kilomètres de Montolieu, cette papeterie sauvée de l'oubli est intimement associée à l'aventure du livre. Situé sur la Dure, il a fait travailler quatre générations de papetiers, dont Xavier Durand est l'héritier. Son fils prendra la relève. Le moulin a été restauré et la production a pû être relancée en avril 1994.

Daniel Grimbert est venu greffer sa passion de la typographie sur cette tradition du papier fait main, feuille à feuille. Chef d'entreprise à Lille, à la tête d'une grosse imprimerie tout électronique, il avait le sentiment de ne plus exercer le même métier : « J'aime la lettre et l'encre, l'imprimerie originelle. C'est ce que j'ai appris et je veux le retrouver ». Accueilli au Moulin de Brousses, il a installé un atelier qui complète la visite organisée à la papeterie. Il imprime des poésies, fait des cartes à la demande. « Je revis. Cette expérience est un retour aux sources».

Ainsi s'écrit la vie des calmes aventuriers du livre, de la plume et du papier, ces étrangers que les Montolivains affectent parfois d'ignorer - on a sa fierté ! -, comme leurs ancêtres durent d'abord dédaigner la manufacture jadis installée par Colbert, cet autre étranger qui allait assurer leur prospérité.

Philippe MOTTA

Pour en savoir plus

- Bureau des associations: BP 08, 11170 Montolieu. Tél. 68 24 80 04.

- Moulin à papier de Brousses: 11390 Brousses-et-Villaret. Tél. 68 26 66 54





Michel Braibant, l’âme du Village du livre.