«MOULINS ET

PIERRES SÈCHES

A MONTOLIEU»

Par Jacqueline & Pierre Antoine Balland




MOULINS ET PIERRES SECHES

En débroussaillant un des nombreux sentiers abandonnés qui reliaient Montolieu à ses rivières, des membres de l’association « Pierres Sèches Montolivaines » ont découvert des pierres noyées dans la Dure.

Aucune image ne peut mieux illustrer notre Patrimoine et le naufrage qu’il connait aujourd’hui, pour essayer de comprendre son histoire sur plus de mille ans, il faut suivre deux fils conducteurs très simples : le fil de l’eau, et le fil de laine.

Depuis la plus haute Antiquité, dans nos climats et sur nos sols, les hommes sont soumis à deux impératifs : se nourrir et se vêtir. Pour la nourriture, la base est fournie par les céréales : blé, épeautre, (blé rustique), seigle, millet, sarrasin, qu’il faut réduire en farine de façon à fabriquer le pain indispensable.


Le moulin bas

Pour se vêtir, jusqu’au XIX° siècle, on ne connait que la laine : le coton, venu d’Orient, la soie, venue de l’Inde, sont très couteux, le chanvre exige un climat très chaud et fournit la filasse, le lin est cultivé plus au Nord sur des terres humides.

Pour transformer les céréales en farine, et la laine en tissu, on utilisa d’abord la force des bras et la force des jambes.

Peu à peu, deux énergies furent domestiquées : le vent et l’eau, renouvelables, gratuites et non polluantes, dirions-nous aujourd’hui. Avec une préférence pour l’eau, qui coule toujours dans le même sens, et que l’on peut aménager de chaussées, de béals et de retenues.

Les mécanismes nécessaires au broyage des céréales et au tissage de la laine se concentrent dans des moulins qui jalonnent l’Alzeau et la Dure ; il n’y a pas de moulin à vent à Montolieu, malgré le Cers et le Marin, trop capricieux.


Une capitelle

Nous commencerons par le plus simple : partout en France s’installent les moulins fariniers : une roue à aubes entraine un mouvement qui déplace une meule qui mout le grain dans une pierre creusée.

A Montolieu, les terres riches sont rares et fournissent le blé ; à partir du XIII° siècle, la population augmente, d’où la nécessité de cultiver des terres pauvres sur la garrigue, et c’est ainsi que la nécessité de se nourrir rencontre la nécessité de se vêtir.

Sur la garrigue, paissaient depuis des siècles des moutons ; on dépierre les terrains les plus propices pour y cultiver du seigle qu’il faut protéger des moutons, d’où les murets de pierres sèches, les cabanes de pierre étant des abris pour les hommes et les outils. Ces abris, au nom très varié, ce retrouvent toujours là où il y eut cohabitation entre le mouton et la culture des céréales. A ce jour, plus d‘une centaine de ces capitelles ont été recensées sur la commune.

Il est aujourd’hui difficile d’imaginer l’importance du mouton, non seulement à Montolieu, mais dans l’économie des pays qui nous entourent.



Moutons sur la colline Saint-Roch

Le mouton est le symbole de la richesse : sans « dessiner un mouton », Jason, fils du roi des Grecs part à la recherche de la Toison d’or, avec les Argonautes, Ulysse et ses compagnons échappent au Cyclope en se cachant sous des moutons, le plus important des Ordres de Chevalerie, créé au XVe siècle par le duc de Bourgogne au XV° siècle, est l’Ordre de la Toison d’Or, en Angleterre, le Président de la Chambre des Communes est assis sur des balles de laine, à Versailles, Marie-Antoinette joue les bergères, les chansons ne se comptent plus qui parlent de bergers, de bergères, de laine et de mouton, sans oublier le célèbre « Il pleut bergère » du carcassonnais Fabre d’Eglantine et plus près de nous, les orpailleurs de l’Orbiel fixaient une toison de mouton, au fond de la rivière pour en retirer la poudre d’or.
Moutons sur la colline Saint-Roch

Dans la Dure, point d’or, mais une eau chargée de schiste, (savon naturel) dont la propriété, connue depuis les Romains, est de dessuinter la laine des moutons.

Aux moulins fariniers vont s’ajouter les moulins drapiers, ou moulins foulons. Plus complexe que le moulin farinier, dans ces moulins, la force de l’eau anime un arbre à cames qui provoque un mouvement alternatif qui soulève et laisse retomber les masses qui foulent le drap.

A partir du XVII° siècle, on dénombrera sur l’Alzeau et sur la Dure plus de vingt moulins, fariniers ou foulons. Cette concentration peut étonner, mais pour la comprendre, il faut la situer dans un contexte plus large.

En 1809, il y a en France 82300 moulins à eau, plus de 1000 par département, et 15887 moulins à vent… Tous ces moulins ont disparu de nos paysages dans le courant du XIX° siècle avec l’arrivée de l’énergie électrique.

En 1805, le préfet de l’Aude dénombre au moins 2 millions de moutons dans son département. Montolieu est un cas qui peut paraitre extraordinaire, mais dans une réalité banale. Or, il n’y a dans notre gastronomie, pourtant si réputée, aucun plat à base de mouton : on ne tue pas la matière première. Pas plus qu’on ne tue le bœuf qui tire la charrue pour en faire des biftecks. Un mouton vit 10 ans, autant de toisons et quand il est malade ou trop âgé, on récupère la peau, d’abord parchemin, puis cuir.

Certes, les troupeaux ont disparu de notre paysage, mais le mouton est resté chez nous jusqu’en 1992, date de la fermeture de la tannerie.

Des moutons d’Australie fournissaient une peau lainée à Mazamet, qui conservait la laine et envoyait la peau à Montolieu, où le tannage était favorisé par les eaux de la Dure, et notre principal client était la Corée du Sud…. Un mouton transitait ainsi par trois continents, avec une escale à Montolieu. On continuait ainsi la réputation internationale de notre industrie du mouton, comme au temps de la Manufacture Royale, en 1740.


Le moulin de Braqueville


L’aventure du Patrimoine industriel de Montolieu connait plusieurs étapes :

1° De 1666 à 1681 pour l’alimentation du Canal du Midi, Pierre Paul Riquet capte des eaux de la Montagne Noire. Connaissant déjà l’activité industrielle de la Dure, il ne capte que les eaux de l’Alzeau.

Il y a, à ce moment là, sur l’Alzeau 8 moulins, 3 fariniers et 5 drapiers, d’amont en aval ; drapiers : Franck, Barrau, Huc, Jalabert, Barthes. Fariniers : Serres, Molinier et Jalabert. Jalabert, au confluent, semble avoir eu deux moulins. Les moulins foulons passent sur la Dure et reçoivent une indemnisation.

Un contrat oblige la Prise d’Alzeau, à laisser suffisamment d’eau pour alimenter les moulins fariniers ; le contrat ne fut pas respecté, et les moulins fariniers passèrent aussi sur la Dure.

La Dure devient un véritable centre « industriel », auquel il faut ajouter la Forge, qui transforme le minerai de fer en objets métalliques utiles aux moulins, et le moulin à papier de Brousses, créé en 1674: pour l’expédition, le drap n’était pas présenté en rouleaux, mais en pièces pliées en accordéon, avec une feuille de papier entre chaque pli.


La Manufacture Royale

2° 1734 Création de la Manufacture Royale. C’est le sommet de la richesse de Montolieu : les draps foulonnés ressemblaient à un feutre très fin et très souple, recherché jusqu’en Turquie, à Constantinople et à Chypre.

Les moulins travaillent avec la Manufacture : d’amont en aval, moulin de Braqueville, de Poulou, de Paul, de Sempur, Moulin Haut, Moulin de Jean, Moulin Bas et les trois moulins Ramel, auxquels s’ajoutent les moulins fariniers, Moulin de Jean, Moulin Lapeyre et Moulin Cathala, ce moulin, présent dès 1639, étant le seul situé sur la rive gauche de la Dure.

En 1815 la chute de l’Empire condamne les activités drapières de Montolieu, le commerce de la Méditerranée étant monopolisé par les Anglais, la Manufacture Royale cesse de produire en 1818, et c’est définitif.


Le moulin de Cathala

En même temps, l’utilisation de l’électricité transforme complètement les données industrielles. Avec le XIX° siècle, les nouvelles machines textiles ont besoin d’espace plus grand, il s’agit maintenant d’usines, partout où l’élargissement du ravin permet l’installation de bâtiments industriels, les moulins se transforment en usines et restent très près de la rivière : son énergie est transmise à des turbines et à des dynamos qui produisent le courant électrique et actionnent gratuitement les machines : c’est l’électricité hydraulique.

3° L’installation de nouveaux bâtiments répondant aux nouvelles techniques se heurte à la configuration des gorges de la Dure. Le chemin muletier, sur la rive gauche, qui reliait tous les moulins entre eux est insuffisant, les nouvelles usines dépendent de leur accessibilité aux nouveaux moyens de transport.

La Dure va accélérer la transformation de ses rives, déjà mal entretenues, béals, chaussées, dérivations, cèdent les 8 septembre 1871, la Dure monte de 6 mètres, et emporte tous les anciens moulins foulons, les deux étages inférieurs de la Manufacture explosent, sans ébranler le bâtiment, disparaissent ainsi huit siècles de patrimoine industriel.

Il s’agira maintenant d’usines qui s’implantent là où le ravin s’élargit. Dès 1850, l’accessibilité du faubourg permet aux frères Cazaben d’implanter l’ «Usine Moderne » à la grande fierté de Montolieu ; en 1880, elle devient l’Usine Cavaillés, en 1942, l’usine Nizet. Qui ne fermera définitivement qu’en 1965. A la fin du XIXe, le moulin Sempur devient une usine, le Moulin Haut se transforme en résidence pour le directeur.

A la même époque, le Moulin Bas, ancien moulin battant, connait la même transformation, au pied du village, et travaille en association avec l’usine de Sempur en créant les « Textiles de la Dure ». Au moulin de Jean, l’espace permet plusieurs activités : textile et farine, et en 1952, c’est la construction de la grande tannerie, en relation étroite avec Mazamet. Le dernier directeur, Mr Lautier, maintiendra l’activité jusqu’en 1992.

Aujourd’hui, l’état du Patrimoine industriel de Montolieu est un désastre, depuis 20 ans, les municipalités ont cru pouvoir confier Sempur, la Tannerie et l’Usine Nizet à de nouveaux propriétaires qui ont totalement ignoré, volontairement ou non, le rôle historique de la Dure. Tout miser sur le Tourisme, l’Art et l’Artisanat a conduit à une totale déroute. Les usines sont des friches industrielles.

Restent le Moulin Bas, préservé par ses propriétaires, et la Manufacture Royale, inscrite à l’Inventaire supplémentaire des Monuments Historiques depuis 2004, et qui doit sourire depuis ses deux siècles et demie.

C’est pourquoi, sans la moindre faiblesse, les cabanes de pierre sèches et les murets de la garrigue sont la pour témoigner de la richesse passée, mais toujours possible, de Montolieu.

Le fil de laine est coupé, mais reste le fil de l’eau : la Dure attend, présente, avec ses qualités extraordinaires et son énergie intacte. Certes, chacun peut l’entendre : il faudrait aussi l’écouter.


Le moulin de Jean





 

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