UNE ANCIENNE FAMILLE DE MONTOLIEU

«LES RAMEL»

par F. CHARLES

Extrait du bulletin de la société d’études scientifiques de l’Aude (tome LXXV – 1975)


Voltaire, en préfaçant son volume de la traduction de la Henriade édité en MDCCXL à Arnsterdam, tome l, page 30, écrivit la phrase suivante :

« On n'a voulu ni flatter ni médire. Ceux qui trouveront ici les mauvaises actions de leurs ancêtres n'ont qu'à les réparer par leurs vertus. Ceux dont les aïeux y sont nommés avec éloge ne doivent aucune reconnaissance à l'auteur qui n'a eu en vue que la vérité, le seul usage qu'ils doivent faire de ces louanges c'est d'en mériter de pareilles ».

Ces quelques lignes peuvent paraître impertinentes, mais elles s'adaptent si bien à cette communication que nous croyons devoir n'y rien changer.

Le voyageur qui emprunte la route de Carcassonne à Toulouse par Revel découvre à la sortie Nord de Moussoulens, alors que la route serpente à flanc de coteau, sur le côté gauche, une petite vallée très fraîche, baignée par la Rougeane, vallée qui s'élargit peu à peu pour former au bas de la descente une petite plaine très fertile d'un kilomètre et demi de long sur un kilomètre environ de large traversée par la route sur toute sa longueur jusqu'à Montolieu.

Ce voyageur peut apercevoir sur sa gauche, en bordure de la route, une magnifique demeure aux trois quarts dissimulée par des dépendances et des arbres centenaires.

Cette demeure a connu des réceptions fastueuses, et fut, il y a plus d'un demi siècle, le centre d'un immense domaine aujourd'hui bien morcelé. Il s'agit du Petit Versailles.

Son nom, à lui seul, date l'époque de la construction de cette demeure princière que son propriétaire, Noble Ducup de Labastide avait fait construire sur l'emplacement de l'habitation d'un Fermier Général et qui restant dans la tradition des grands seigneurs d'autrefois en avait fait hommage à la Reine de France Marie-Antoinette.

Fort sensible à l'élégance du geste, la Reine témoigna sa reconnaissance à la famille de Ducup en lui confiant en dépôt à la veille de la Révolution des titres, documents et objets de valeur dont une pendule, don d'un Prince oriental, pendule qui fut vendue plus tard à Versailles, quarante mille francs de Petit Versailles, par J.F. Merlet).

Ce geste de Noble Seigneur de Ducup aurait pu avoir des conséquences graves au cours des années 1789 et suivantes s'il avait été connu et ceci fait apparaître une situation étrangement paradoxale et tragique.

Noble Ducup fait hommage de son château à la Reine et quelques années après, son neveu Dominique Vincent Ramel ayant hérité du Petit Versailles en 1789 vote 1a mort du roi Louis XVI qui par enchaînement logique entraîna celle de la Reine.

Il est probable que les Familles des Ducup, celle de Montolieu et celle de Moussoulens, bénéficièrent d’une certaine protection à laquelle D.-V. Ramel ne fut pas étranger car elles ne furent jamais inquiétées ;

il n'en fut pas de même pour celles des Sajot Saptes de Puget, propriétaires de grands domaines à Alzonne et à Montolieu qui payèrent de leur tête leur appartenance à la noblesse et leur fidélité à la royauté. Et ceci nous ramène au sujet principal de cette communication.

Dominique Vincent Ramel était l'un des nombreux descendants de la Famille des Ramel, originaire de Nogaret, Haute-Garonne, venue à Montolieu dans la seconde moitié du XVIe siècle et dont une branche qui prit le nom de Ramel Nogaret s'établit à Carcassonne ou elle prospéra.

Le premier ancêtre connu Anthoine Ramel au blason d'argent à un chef palé d'or, qui avait épousé Anna Huc, figure le 3 octobre 1611 dans un acte de baptême comme parrain de son petit-fils Anthoine Debadia.

Il avait deux filles, Marguerite et Claire, et un fils Dominique qui avait épousé Marie-Rose Ducup de St-Ferriol.

Anthoine avait peut-être des frères ou d'autres fils, l'absence de documents antérieurs à l'acte de baptême cité ci-dessus ne nous permet pas de l'affirmer, cependant d'autres membres de cette famille vivaient à Montolieu à cette époque. Nous ne suivrons ici que les descendants d'Anthoine, déjà cité.

Dominique, époux de Marie-Rose Ducup eut. un fils, né en 1643 nommé Antoine qui épousa Claire d'Estève, dont il eut un fils Dominique né le 26 juin 1675. Le Parrain fut le grand-père Dominique.

Antoine Ramel décéda en 1715, âgé de 72 ans. Il était avocat du Roi. Il avait eu deux filles, Jeanne et Elise

Dominique son fils, épousa le 6 février 1714, Marie Claire de Ducup, fille de Noble Jean Ducup de Labastide et de feu Marguerite de Molinier dont il eut quatre enfants: Jeanne Marie Elisabet, Marie, Claire qui décéda à 11 ans et un fils Jean Baptiste Ramel, né le 1er février 1718.

Jeanne Marie Elisabet épousa le 19 novembre 1737 Philibert Maragon, de Carcassonne :

Dominique décéda le 23 septembre 1753, sa femme Marie Claire de Ducup, le 29 mars 1712.

Avant que de continuer la généalogie de cette famille, nous constatons la fréquence des mariages consanguins, qui nécessitèrent souvent des dispenses et il est nécessaire de préciser, ici, qu'en même temps que cette branche, une autre, aussi importante et plus nombreuse descendant certainement du premier Anthoine connu, oui d'un de ses frères, vivait également à Montolieu, Il n'en sera parlé ici que pour préciser certains actes et de façon passagère.

Le 23.9.1753, Dominique Ramel décéda. Il était né le 26.6.1675 il avait donc 78 ans. (L'acte de décès porte 80 ans environ).

Le 10 décembre 1753 Jean Baptiste Ramel épouse Marie Rose Du¬cup, fille de Noble Ducup de Saint Ferriol et de Marie Rose de Benazet avec dispense de M. de Blanquefort Vicaire-Général.

De ce mariage naquirent, Marie Jeanne Ramel née le 24.3.1757 qui épousa, en 1778 Jacques Mercier. Le 25.3.1758, naissance de Claire Marie Ramel.

Le 3.10.1760, naissance de Dominique Vincent Ramel, baptisé le 6.10.1790. Parrain : Vincent Ramel, grand oncle paternel. Mariane : Marie Rose de Bénazet, grand-mère maternelle, épouse de Jean Baptiste Ducup de Saint-Ferriol.

Claire Marie Ramel, sœur de Dominique Vincent Ramel épousa le 25-9-1786, Jean Antoine Bories, avocat de Revel, habitant Labecède. Le frère de la mariée signa Ramel de Nogaret, à coté du curé Pastre. Claire Marie décéda le 9-5-1791 et fut ensevelie à Montolieu ou elle s'était rendue lorsque sa maladie empira. A son mariage, ses témoins furent Jean Baptiste Ducup et Jean Théodore Maragon, son cousin germain.

Ici se termine cette généalogie qui comporte les ascendants directs et les sœurs de Dominique Vincent Ramel; d'autres membres de cette importante famille, et ils sont nombreux, ont été laissés à l'écart de cette liste. Il ne sera plus question ici que de D.V.R., de ses deux sœurs et de son cousin Bertrand, fils de Vincent Ramel.

Le regretté Docteur Jean Giroud, dans son livre « La vie des Hommes célèbres de l'Aude » confond Dominique Vincent Ramel avec un cousin Jacques Ramel Nogaret et le fait naître dans la ville de Carcassonne, mais avec les états de service de D.V. Ramel.

Il commet d'ailleurs la même erreur avec le Général Baron Gros de Montolieu, qu'il fait naitre à Carcassonne également.

L'ancien préfet, Alphonse Mahul, dans son cartulaire, tome 1 est plus précis et retrace les grandes lignes de la vie de D.V. Ramel

M. Arthur Conte, dans son livre « Sire, ils ont voté la mort » donne quelques détails supplémentaires, détails auxquels nous ajouterons ceux que nous avons glanés sur le plan local.

Dominique Vincent Ramel est né à Montolieu, le 3.10.1760, dans la maison contiguë au Pont de l'Abbé, au bord de la Dure, qui appartenait, à cette époque, à la famille Roumens; actuellement à Mme Juliette Pech.

La portion de route qui longe la Dure et le couvent des Filles de la Charité porte le nom : Avenue Ramel et cela jusqu'au Petit Versailles.

Le grand-père, Antoine Ramel, habitait un bel immeuble qui occupait presque tout le quartier compris entre la rue Mage (rue de l'Eglise), la traverse de la Mairie et la rue de la Mairie qui s'appelait alors « rue du Portal del Mut ». Cet immeuble a conservé ses belles salles et chambres mais appartient à deux propriétaires : Mme Maury et M. Gallinier.

Il est contigu, dans la rue de la Mairie, à la maison natale du Général Bastoul, occupée par M. Raffin, propriétaire.

Nous ignorons ou D.V.R., qui avait fait ses premières lettres au Monastère de Montolieu, continua ses études qui lui permirent de devenir un financier éclairé et d'occuper les hautes fonctions dont M. Mahul donne le schéma.

D.V.R. tint à Montolieu la charge de Procureur du Roi en la Sénéchaussée. Capitaine viguier, Juge Royal de Montolieu, avocat du Roi à la Sénéchaussée de Carcassonne et Siège Présidial, Député aux Tiers Etat en 1789. Il siégea à l'Assemblée Nationale, où il fut membre du Tiers Etat en 1789. Il siégea à l'Assemblée Nationale où il fut membre du Comité des Finances. Elu à la Convention il vota la mort de Louis XVI et refusa le sursis. Il était membre du Comité de Salut Public et Ministère des Finances sous le Directoire. En 1795 il fut envoyé en Hollande pour suivre les opérations de Pichegru.

Préfet du Calvados pendant les 100 Jours. il signa l'acte additionnel aux Constitutions de l'Empire en 1815. S'engageant à lutter contre le retour des Bourbons. S'il avait refusé de signer il aurait été absous de son vote régicide et aurait ainsi évité l'exil lors du retour de Louis XVIII.

Carnot ne l'aimait pas; il disait que Ramel ne se couchait jamais plus content que lorsqu'il avait roulé quelqu'un.

Dominique V. Ramel fit, quelques temps avant la Révolution, usage de la particule qu'il abandonna naturellement pendant la période révolutionnaire, se contentant d'ajouter au nom de Ramel celui de Nogaret comme ses cousins de Carcassonne.

Les nombreuses alliances avec les familles d'Estève, des Ducup, de Bénazet, Monès d'Albuis pouvaient expliquer ce besoin d'ennoblissement. La branche carcassonnaise des Ramel avait dès le début du XVIIe pris le nom de Ramel de Nogaret et l'arrière grand-père Anthoine signait souvent Ramel de Nogaret; le 19 avril 1716 un acte de Baptême mentionne le nom de Jeanne Claire de Ramel comme d'ailleurs la marraine, le parrain fut Noble Jean Ducup de Labastide.

Lorsque D.V. Ramel succéda à son grand oncle de Bénazet comme Avocat Royal et Siège Présidial à Carcassonne il signa aussi Ramel de Nogaret comme ses cousins carcassonnais ce qui a pu créer confusion.

Le 25 septembre 1786, au mariage de sa sœur Marie Claire, il signa Ramel de Nogaret au bas de l'acte de mariage à côté de la signature de l'Abbé Pastre qui deviendra sa bête noire pendant la Révolution.

Et pour satisfaire cette envie de la particule, pendant son exil il mariera sa fille avec le Baron belge M. de Ronstoof,

La date de son mariage ne nous est pas connue, nous savons qu'il avait épousé la fille de l'Editeur Panckouke, créateur du journal le Moniteur Universel, qui est devenu notre Journal Officiel. Ce Panckouke fut Membre du Comité Civil et Militaire de Narbonne chargé d'enquêter sur la situation de l'Armée dans la région du Languedoc. (Cité par Me Descadeillas dans son livre sur ce Comité).

D.V. Ramel était très influent; il fit nommer son grand-père J.B. Ducup commandant de la Garde Nationale du Canton de Montolieu et son cousin Bertrand Ramel quoique inscrit sur la liste des commerçants faillis fut nommé Commissaire du Pouvoir Exécutif pour le Canton ce dont il abusa à tel point que beaucoup de ses compatriotes en furent choqués.

Plus de cent ans après on parlait encore de ses exactions, dénonciations, saccage de l'Eglise St-André de Montolieu ou il fit adorer la Déesse Raison représentée par des filles recrutées à Carcassonne et l'Etre Suprême par l'effigie de Robespierre les reliques et certains objets du culte furent brûlées sur la place publique ; mais ce qui souleva l'indignation ce fut le saccage de la Chapelle de Saint-Roch où une très ancienne statue du Saint fut décapitée d'un coup de sabre et précipitée dans le ravin.

Ces hauts faits du citoyen Bertrand furent, le temps aidant, mis au compte du plus célèbre des Ramel, Vincent Dominique, qui n'y est cependant pour rien comme l'atteste un témoignage écrit de l'Abbé Pastre, lequel ne peut être mis en doute, l'Abbé avant eu fort à souffrir de la malveillance des deux cousins.

La loi du 12 Janvier 1816 obligea D.V. Ramel à s'exiler à cause de son vote régicide. Il proposa avant son départ à son beau-frère J. Antoine Boriés de lui vendre son domaine du Petit Versailles. Boriés qui était veuf accepta et. vendit même quelques terres pour parfaire le montant de la somme demandée.

Ramel se retira en Belgique dans sa « richissime » propriété de Lacquens où il vécut treize ans, donnant de nombreuses réceptions auxquelles assistaient ses collègues exilés et ou brillait sa fille Mme la Baronne de Ronstoff,

Atteint d'un cancer à la gorge il décéda le 30 mars 1829, précédé dans la tombe par son cousin J.-Marie Maragon mort trois Jours avant. Il mourut muni de tous les sacrements de l'Eglise...

Sa mère était décédée à Montolieu cinq mois après le décès de sa fille, Marie Claire épouse de J-A. Boriès c'est-à-dire le 8 octobre 1871; son père Jean-Baptiste Ramel décéda le 10 Frimaire, an IV de la République.

Nous ne connaissons pas ce que fut le destin de Mme la Baronne de Ronstoff. La branche de Dominique Vincent Ramel s'est-elle perpétuée en Belgique ? Mystère...

On aurait pu supposer un moment qu'un fils de D.V. Ramel se serait établi à Bordeaux, si on se rapporte à une correspondance assez étrange amorcée le 15 septembre 1864; entre un Monsieur Cuzol, ancien Juge au Tribunal de commerce de Bordeaux, cousin de Auguste Ramel qui demande au maire de Montolieu, Combes Farral, de lui faire parvenir l'acte de naissance de Dominique Vincent Ramel père du Sieur Auguste Ramel, et l'acte de naissance de Bertrand Ramel, père de D.V. Ramel ! !

Il y avait là deux erreurs flagrantes qui ne pouvaient passer inaperçues, d'autant plus que la famille de M. Combes-Farral étant très liée avec celle des Ramel connaissait les degrés de parenté de ses membres ; M. Combes adressa à M Cuzol une lettre dont les termes ne sont pas connus mais qui devait certainement demander des précisions.

Le 3 novembre 1864, M. Cuzol renouvelle de façon pressante sa demande précédente en y ajoutant toutefois celle de l'extrait de naissance de Nicolas Ramel et celui de Vincent Ramel qu'il qualifie « d'auteur commun » ; ce qui éclaire un peu la situation.

Bertrand Ramel, fils de Vincent, était le père de Nicolas Ramel, un des sept fils qu'il avait eu de son mariage avec Denise Coustous et c'est Nicolas Ramel qui ayant épousé, le 9 Ventôse de l'an XII de la République marguerite Cuzols était certainement le père de Ramel Auguste, cousin de M. Cuzol.

I1 est tout de même curieux que M. A. Ramel soit si imprécis sur son ascendance !

On trouve à la date du 30 Nivôse, an XII, un acte de mariage par lequel Bertrand Ramel âgé de 63 ans, veuf de Denise Coustous, épouse Louise Fonds, âgée de 24 ans dont il eut un fils, Vincent, né le 13 Ventôse de l'an XIII (21 fév. 1805) dont le parrain fut Dominique Vincent Ramel. Bertrand étant décédé le 15 juin 1818 à l'âge de 77 ans, sa veuve Louise Fonds se remaria avec Ourens Alix. Elle décéda le 15 septembre 1874. C'est la dernière personne de cette importante famille dont nous avons entendu parler par des contemporains, les autres membres avant tous émigré vers d'autres centres convenant mieux à leurs activités.

La Municipalité de Montolieu a l'intention de faire apposer une plaque sur les maisons natales de Vincent Dominique Ramel, des Généraux Bastoul et Sicard morts au Champ d'Honneur en 1807, du général Gros, baron d'Empire pour ses faits d'armes, décédé à Paris des suites de ses blessures et sur la maison du Général Izard dont le portrait orne la grande Salle de la Mairie.




Ainsi seront provisoirement sauvés de l'oubli les noms de ces Montolivains connus seulement par quelques rares descendants.

SOURCES

- Archives du Montolieu (Etat civil).

- Notes manuscrites de l'abbé Pastre (1894).

- Famille Ramel (castelmoron, près de Bordeaux).

 

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