Légendes du Cabardès

1 - LE CHANDELIER SACRE

Les Rois Wisigoths possédaient un trésor fabuleux, qu'ils avaient amassé, de pillages en pillages, à travers toute l'Europe. Le joyau en était le célèbre chandelier d'or pur, à sept branches, enrichi de pierres précieuses, provenant du Temple de Jérusalem, dont an disait que celui qui le profanait était foudroyé sur l'instant.

Le Roi Alaric s'était installé à Toulouse, mais en 507, les Francs, menés par Clovis s'ébranlent ; à là bataille de Vouillé, Alaric est tué en combattant, et son armée décimée; les Francs foncent sur Bordeaux et y passent l'hiver; au printemps, Clovis reprend l'offensive, déborde Toulouse, atteint Carcassonne, en 508.

Le trésor avait été replié rapidement de Toulouse à Carcassonne ; mais l'escorte, surprise par l'avance franque, dut se replier sur Saissac, ou elle enfouit le trésor, qui s'y trouve encore malgré des recherches et fouilles nombreuses.

Ici s'arrête la tradition; qu'il soit permit de laisser chanter la légende !

Les Francs pénétraient déjà dans les faubourgs de Toulouse : l'affolement régnait; les seigneurs Wisigoths se préparaient en toute hâte à se replier sur Carcassonne en bataillant pour retarder l'avance ennemie; mais la famille royale, Théodegothe la jeune épouse du défunt roi et Amalric, son fils, espoir de la dynastie, bien qu'il n'eut que 4 ans; était encore dans Toulouse; ils devaient partir sans retard à Carcassonne; en même temps, il fallait escorter le trésor, composé de dizaines de coffres, long convoi tiré par des boeufs.

Le jeune seigneur Euric réclama cette mission et l'obtint; accompagné d'une légère escorte, il s'échappa de justesse de Toulouse, laissant filer le convoi, pendant qu'il amusait les enne¬mis en guerroyant. Puis, confiant dans son avance, et escomptant que les Francs s'attarderaient quelques jours à Toulouse, il régla la marche du lent convoi, et multiplia les reconnaissances, prêt à s'échapper dans les bois ou par les chemins boueux du Lauragais, à la moindre alerte.

Mais au relais d’Elusio, Euric appris que des francs, venant d’Albi s’étaient déjà répandu sur la route de Carcassonne, vers Bram, alors appelé Hébromagnus.

Il n’était plus question de suivre la grande route de Carcassonne ; il décida de se jeter dans la montagne et d’essayer de gagner, par des chemins détournés, par Issel, Verdun et la forêt de Bruniquel, le petit Castellum de Saxacum, que l'on nomme aujourd'hui Saissac. Il connaissait bien cette région, qu'il avait maintes fois parcouru avec ses compagnons dans leurs chasses à l'ours : ce n'étaient que forêts profondes, que le printemps parait de muguet, mais il savait y trouver un asile sûr et des chemins praticables.

Enfin, ils furent en vue de Saissac et les lourds chariots s'engouffrèrent dans le « castrum ". Euric, comprenant qu'il n'avait guère de chance de transporter les caisses à Carcassonne avant que le pays ne soit débarrassé de l'ennemi, décida d'enfouir le trésor à l'abri des souterrains du château.

La Reine n'avait pas été insensible au charme du jeune seigneur, à la délicatesse de ses manières, ainsi qu'à son courage et à son sang-froid; elle approuva le projet de cacher le trésor, jusqu'à des jours meilleurs, mais manifesta le désir d'assister avec Euric à l'enfouissement.

Lorsque les caisses furent déposés dans les profondeurs des salles souterraines, ils restèrent seuls :

- Ah ! Euric ! Je voudrais tant me parer une dernière fois de tous ces bijoux royaux....

Et ce fut un spectacle féerique; la reine chargea ses bras de bracelets étincelants, des diamants brillèrent à sa chevelure d'or,

d'énormes rubis attachés aux lobes délicats de ses oreilles firent ressortir l'exquise fraîcheur de ses lèvres; l'éclat rougeoyant et changeant des torches faisait varier les teintes et les éclats de ces bijoux splendides; l'odeur de la résine qui embaumait la salle exaltait leurs esprits :

- Ah ! Euric ! Suis-je belle? Suis-je belle, Euric ?

Elle n'avait pas de miroir, mais l'adoration qu'elle lisait dans les yeux bleus d'Eric agenouillé devant elle, reflétait sa beauté, mieux que le cristal le plus pur.

Puis, fouillant à pleines mains dans les coffres massifs, elle -jeta pêle-mêle, sur le sol, au gré de son caprice, ors, bijoux, argents, monnaies scintillantes; elle sortit encore les soixante calices d'or pur massif, les soixante patènes et une multitude de croix massives, qu'elle disposa sur les coffres ou sur l'aspérité du mur.

Ah ! Ma Reine ! Ah ! Ma déesse !

Et, lui aussi, dans l'exaltation de son admiration, pris par cette étrange fièvre de l'or, enivré par la beauté de la reine, exhaussée encore par la splendeur des bijoux et des éclairages, il saisit au fond d'un coffre le fabuleux chandelier à sept branches de Jérusalem luisant dans l'obscurité par l'éclat de mille pierres précieuses; il oublia la malédiction qui s'attachait à ce chef-d'oeuvre d'orfèvrerie, tout à son amour, tout à l'idole qui s'offrait à lui, parée comme une déesse: Il posa le chandelier devant son amante, et se prosterna à ses pieds...


Nul ne les revit jamais; les hommes de l'escorte, inquiets de leur absence trouvèrent le souterrain fermé par un éboulement; ils quittèrent Saissac emmenant le petit roi Amalric, qui put trouver abri à Carcassonne.

La campagne s'épanouissait dans le printemps, et la forêt se constellait de fleurs. Dans le plus somptueux des décors. Théodegothe et Euric agonisaient dans la splendeur de leur amour...